
Aube d’un printemps arabe
Dans l’air humide
Les chants des muezzins se répondent
—
Le vent du désert
Affole les marchands du souk
Je retiens mon chapeau
…
Que retenir de ces semaines marocaines ? Des images en pagaille, des sons et des odeurs, comme toujours dans ce pays qui tourne les sens. Arrivé dans le vent du nord à Tanger, je suis descendu sur Rabat pour retrouver Mokhtar, presque par hasard. Nous avons discuté en fumant jusqu’au petit matin, puis je me suis endormi le sourire aux lèvres en pensant « ça y’est, je suis de retour au Maroc ». J’aime ce pays, chacun de mes séjours ici est un ravissement. Terre de mes premiers voyages, terre d’amis toujours renouvelés, de périples enfumés… Quel que soient les destinations futures et les surprises que me réserve encore la route, je crois que je garderai toujours une place à part pour ce petit bout d’Afrique méditerranéenne, niché entre l’Atlantique et Sahara.

Sur la terrasse de chez Mokhtar à Rabat
Deux jours après mon arrivée, je vais chercher Amy à l’aéroport. J’ai hâte de lui montrer tout ce qui me plaît ici. Aimera-t-elle ? La question m’obsède. Je suis tendu. Assez pour attirer l’attention des douaniers qui décident de fouiller ce petit sac à dos que je n’ai pas pensé à vider avant de partir. Il est remplis de babioles, les capotes les font rire, l’opinel et les tire-bouchon un peu moins, la pochette d’herbe les rend soudain plus sérieux. Au moment ou le flic la sort du sac, je me maudis intérieurement de l’y avoir oubliée ! Je me confond en excuses, explique que je ne pensais pas l’avoir, que je ne prends pas l’avion, que je viens juste chercher ma fiancée, bref, je tiens le crachoir pour ne pas leur laisser le temps de trop tergiverser et gagner du sursis en cherchant comment m’en sortir. Il me regardent bizarrement, je ne sais ce qu’ils pensent. Un officier supérieur appelé pour juger de la situation constate que la quantité de kiff est trop infime pour me livrer à la police. Je respire, ils me laissent partir.
Amy est rayonnante, plus belle encore que la dernière fois que nous nous sommes vus. Tout le long du trajet retour, en train vers Rabat, je me retiens difficilement de la dévorer, des yeux, des lèvres… Je voudrais n’être qu’avec elle au milieu de nulle part, et laisser le monde tourner sans nous. Mais il y a la foule, les amis, à peine le temps de poser les bagages que nous ressortons pour aller voir une pièce de théâtre. Très beau spectacle, d’ailleurs. Dans un conteneur accueillant vingt personnes, un comédien et sa partenaire nous disent que le monde leur parle. La mise en scène épurée, leur sourires rassurants et ces petites phrases du quotidien répétées jusqu’à l’irritation créent une ambiance paradoxale. L’ouverture finale de la carcasse métallique nous rend au monde, l’instant d’illusion s’arrête et nous laisse sur le coeur un goût agréable de bonheur lucide. L’effet trop rare d’un théâtre intelligent qui éveille l’esprit.
Puis nous partons pour M’diq, la petit station balnéaire du nord, près de Tétouan, où vit Céline. Là, nous sommes un peu dépités par la météo pourrie, dégueulasse, mi vent mi pluie, qui menace de nous gâcher la semaine. Coup de chance, nous retrouvons Cécile, venus présenter son dernier film au festival de Tétouan, tout près. Nous y passerons l’essentiel de notre temps, d’une projection à l’autre, rencontrant acteurs grecs et journalistes marocains, buvant des bières dans un hôtel de luxe ou des thés brûlants dans un café associatif de la médina.

Café associatif de la Tour Rouge – Tétouan
Après cette semaine à jouir de toutes les langues de la Méditerranée, je suis plus que jamais convaincu de mon appartenance viscérale à cette culture ancestrales qui se renouvelle depuis trois mille le long des côtes de la Mare Nostra. Difficile à comprendre pour les européens du nord, scandinaves, anglo-saxons, mais la Méditerranée imprègne nos gènes aussi sûr que la couleur de nos yeux, et cette filiation historique me semble beaucoup plus forte et influente que la toute récente et encore artificielle construction d’une identité européenne.
Nous partons pour Chefchaouen, la ville bleue. A peine arrivés, je conduis Amy dans la médina. Là, un brouillard de fin d’après-midi nimbe les murs azurés d’un voile fantômatique. Nous arpentons ce labyrinthe à la recherche d’un petit hôtel sympa et pas trop cher, que nous finirons par trouver grâce à un revendeur de hashich qui a senti le filon. Je lui prend de quoi fumer, autant pour la fume que pour le plaisir de marchander sévère avec un gars qui a l’habitude. Une fois mon kiff acheté, il me manque encore la sebsi, que je trouve juste en me retournant auprès d’un épicier hilare, joviale et défoncé façon Obélix (tombé dedans quand il était petit), avec qui je fume tout de suite un petit pipe histoire de me mettre dans l’ambiance. De Xaouen, nous verrons l’essentiel en deux jours, rencontrerons le sympathique Docteur Bike, cyclo-voyageur belge de bonne compagnie, et ferons l’amour dans les vapeurs de kiff dans notre minuscule chambrette bleue, aux couleurs de la ville. Avant de partir, Amy craque pour un tapis en fibre de cactus qu’elle achète après une longue et passionnante discussion avec l’artisan, dans la boutique d’une petite coopérative tenue par des femmes.
Vegan et féministe, ce tapis était fait pour Amy !

Chefchaouen – Amy au parapet de la vieille mosquée
Le lendemain, nos prenons le bus pour Fès, la cité impériale où nous avons prévu de rester deux jours avant de fuir la grande ville pour le calme de la montagne. C’est du côté de M’rirt, Moyen Atlas, que nous avons réservé une chambre pour quelques jours de détente à la ferme Aïss. Dès le premier soir, nous dînons en compagnie de Mustapha, le propriétaire, qui nous raconte comment il a repris cette exploitation sur les terres de ces ancêtres. Le projet initial de gîte d’accueil a lentement évolué au fil des années. Sensibles à l’écologie, Mustapha et sa femme souhaitent aujourd’hui réorienter leur activité. La ferme fonctionne selon un principe d’agro-écologie, qui repose essentiellement sur une bonne gestion des ressources naturelles. Ils adhèrent depuis quelques années aux idées de Pierre Rabhi sur le retour à une terre nourricière et la reconstitution du lien social. Il est d’ailleurs secrétaire de la section marocaine de l’association Terre et Humanisme.

Pancarte abandonnée de la ferme Aïss
Dans cette optique, Mustapha s’est engagé à fond dans le développement agricole local, travaillant avec les paysans pour enrayer la déforestation qui ravage les montagnes du Moyen Atlas. Lutter contre l’érosion des sols en rationalisant les pâtures, contre l’usage des pesticides, économiser les ressources (en eau, en bois, etc), sont quelques points du programme qu’il tente de mettre en place dans la région. Pour cela, lui et son équipe (cinq personnes travaillent à la ferme) ont décidé de labelliser leur gîte en « accueil paysan ». Ils ne communiquent plus auprès des organisations touristiques mais visent plutôt à l’accueil de groupes scolaires ou de formations professionnelles. Ils expérimentent et mettent en pratique diverses méthodes écologiques, comme le goutte-à-goutte qui irrigue leur jardin ou l’utilisation du four solaire pour cuire le pain.

La cour du gîte
Après quelques jours au milieu des montagnes, en compagnie des gens de la ferme Aïss, à savourer la cuisine locale et à marcher sur les chemins sauvages, il est malheureusement temps de repartir. Nous laissons ces gens si accueillants pour retourner à Rabat.
Comme eux, ils sont des dizaines à travers le Maroc à poser les premières pierres d’une société plus respectueuse de l’environnement. Et il est plus que temps, le développement économique des dernières années a saccagé le pays, une fraction de la population commence tout juste à prendre conscience du désastre et à organiser la résistance, pour sauvegarder ce qui peut encore l’être.

Paysage aux alentours de M’rirt
Juste avant de partir, alors que je traîne dans les rues de Casablanca, je rencontre deux étudiants en école d’ingénieurs avec qui j’échange longuement sur ces questions. Ils y sont évidemment sensibles, mais, me disent-ils, il faut bien nourrir sa famille, et les seuls emplois proposés sur le marché du travail le sont par les multinationales européennes qui n’ont que faire de la préservation de la nature. Malgré tout, ils participent comme ils peuvent aux changements sociaux. De la désobéissance civile qui s’organise autour du mouvement du 20 Février, en passant par la création d’associations citoyennes, le pays sort doucement de sa léthargie ultralibérale et la nouvelle génération tente de reprendre les commandes avec un peu plus de conscience environnementale. Je monte dans l’avion qui doit m’amener en Corse avec l’envie de revenir dans quelques années, voir si cette jeune dynamique a porté ses fruits.
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Dans le thé sucré
Une abeille patauge
Entre les feuilles de menthe
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Soleil couchant
Les enfants bâtissent une digue
Face à l’océan

Pleine Lune sur le Bouregreg – Rabat
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